De plus en plus nombreux et fréquents, les arrêtés sécheresse pénalisent directement les industriels, qui utilisent l’eau à chaque étape de leurs processus, en tant qu’ingrédient, pour refroidir les équipements ou pour procéder au nettoyage des installations. En cas de restrictions locales de l’eau, la production peut être au mieux ralentie, au pire totalement stoppée. Consommer moins et mieux l’eau est aujourd’hui possible, mais aussi une nécessité, malgré quelques obstacles réglementaires persistants.

Les impacts de l’industrie sur la ressource eau

Si la recherche de productivité et de compétitivité reste centrale dans l’exploitation d’un site industriel, d’autres préoccupations sont aujourd’hui essentielles au bon déroulement des opérations. C’est le cas notamment de la maîtrise des impacts environnementaux de la production : réglementations nombreuses et de plus en plus strictes, et exigences du marché en général, et des consommateurs en particulier.

Et les émissions carbone sont loin d’être le seul critère de mesure : les quantités et la qualité d’eau utilisées dans les processus productifs sont tout aussi fondamentales. Il faut dire que l’industrie à elle seule représente environ 20 % de la consommation et 10 % des prélèvements de la ressource eau, sans compter la production industrielle d’énergie. 

Ce n’est, en effet, pas intuitif, mais l’eau est présente à toutes les étapes de la production industrielle : eaux de production (eau ingrédient, eau de process), eaux d’utilités (TAR, chaudières, circuits fermés), etc. Cumulativement, pas moins de 1 000 litres d’eau seront consommés pour la production d’un verre de lait, 8 000 litres pour un jeans et 450 000 litres pour une voiture. 

Historiquement, et en fonction de leur implantation géographique et de leurs besoins, les usines utilisent de l’eau du réseau potable, ou puisent dans le milieu naturel (eau de surface ou de forage). Mais face aux menaces de sécheresse de plus en plus fréquentes, des solutions alternatives doivent impérativement être trouvées, ou améliorées. Tant pour les questions environnementales que pour la pérennité de l’entreprise elle-même.

Réduire, réemployer et recycler

pour limiter le risque d’arrêtés sécheresse

La prise de conscience des industriels eux-mêmes, et des pouvoirs publics, ne date pas d’hier et un certain nombre de réglementations est venu progressivement encadrer les usages de l’eau, en particulier depuis les années 1990. Ainsi, l’article R214-85 du Code de l’Environnement encadre notamment les prélèvements et rejets d’eaux dans le milieu naturel, complété par l’arrêté du 2 février 1998 relatif aux prélèvements et à la consommation d'eau ainsi qu'aux émissions de toute nature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

De façon plus générale, la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) du 2000/60/CE du 23 octobre 2000 et, plus récemment, le chapitre 4 (lutte contre les gaspillages et promotion de l’économie) de la loi Transition Écologique pour la Croissance Verte de 2015 ont apporté un cadre global et de long terme aux acteurs économiques. Mais pour les industriels, les principaux risques réglementaires sont constitués par les arrêtés de sécheresse : territoriaux, ils peuvent provoquer une véritable désorganisation de l’entreprise en seulement quelques jours, voire impliquer un arrêt total de la production. Et viennent s’additionner à l’arrêté sécheresse du 8 juillet 2023 concernant les ICPE prélevant plus de 10 000 m³ par an : pour ces industriels, les réductions de prélèvement d’eau peuvent aller de 5 % (niveau « alerte ») jusqu’à 25 % (niveau « crise »). 

Conscients de ces risques réglementaires et économiques, et surtout des enjeux hydriques, nombreux sont aujourd’hui les industriels à travailler vers des solutions alternatives, pour limiter leurs prélèvements d’eau sur les réseaux potables ou en milieu naturel, mais également leurs rejets vers les stations d’épuration ou dans les milieux aquatiques.

C’est tout l’objectif de la démarche Reuse : réduire les consommations et réutiliser l’eau autant que possible entre les différents processus industriels. Une réutilisation en boucle courte en cours de process industriel, ou en boucle longue après traitement en station d’épuration pour un nouvel usage (eaux de lavage, d’utilités, de process, etc.). On parle alors de recyclage. 

En adoptant cette démarche, les industries limitent ainsi les risques d’arrêtés sécheresse sur leurs bassins hydriques respectifs, lesquels impactent directement leurs performances, mais également les autres activités locales et les populations environnantes. 

Reuse : des blocages réglementaires encore tenaces

A priori, les pouvoirs publics encouragent les industriels en ce sens. À ceci près que la réutilisation de l’eau, même après traitement, n’est pas toujours possible. C’est le cas notamment dans l'industrie agroalimentaire(malgré des évolutions récentes) et les installations classées, où les réglementions en vigueur, portées au code de la santé publique ou au code de l’environnement, empêchent parfois de mettre en place une stratégie Reuse : eau de boisson, eau ingrédient, produits infantiles, risques légionelle, etc.

Pourtant, avec les traitements appropriés, certaines eaux recyclées peuvent atteindre un niveau de qualité équivalent à l’eau potable. Progressivement, les règles évoluent et les obligations s’assouplissent. En application des principes du Plan Eau par exemple, le décret 2023-835 du 29 août 2023 (entré en vigueur le 31 août 2023) est ainsi venu simplifier les procédures de réutilisation des eaux usées traitées (REUT), avec 3 principales mesures : la suppression de la limitation à 5 ans des projets expérimentaux (trop courts pour amortir les investissements), la simplification de l'instruction des dossiers (avis simple des ARS, suppression du rapport annuel destiné au CODERST) et suppression de la conditionnalité liée à la qualité des boues pour l’utilisation d'EUT.

Cette première levée de blocages réglementaires est un bon début mais encore insuffisante face à l’urgence hydrique, et aux efforts économiques et technologiques des industriels et de leurs partenaires pour limiter leurs consommations d’eau sur l’ensemble des cycles de production. En attendant, les projets concrets ou expérimentaux se multiplient chez les industriels, et laissent entrevoir des perspectives encourageantes dans les prochaines années pour concilier croissance industrielle et maîtrise des usages de l’eau.

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